Démocratie, identité et liberté

Démocratie, identité et liberté | De prime abord, le concept de démocratie peut paraître simple, ce qui est trompeur, car il comporte plusieurs idéaux. Les régimes démocratiques libéraux tels que nous les connaissons en Occident mettent beaucoup l’accent sur les élections et tout ce qui les entoure. Toutefois, la démocratie représentative (ou élective) ne représente qu’un aspect de ces idéaux, et même dans ce type de régime, la participation politique démocratique s’exerce de bien d’autres manières, comme nous le soulevons dans ce texte.

Qu’est-ce que la participation politique?

Au départ, nous devrions poser cette question : qu’est-ce que la politique?

Lorsque la plupart des gens entendent ce mot, ils pensent à la politique traditionnelle, c’est-à-dire la politique partisane en démocratie : les élections, les discours des politicien.nes et leur visage sur les pancartes électorales, les slogans, les débats télévisés, etc.

Les citoyen.nes peuvent participer de cette manière : aller voter, s’impliquer dans un parti, voire se présenter comme candidat.e!

Toutefois, certain.es s’inquiètent du taux de participation aux élections, car des études pointent vers une tendance lourde depuis des décennies ici mais aussi ailleurs en Occident : malgré des variations « saisonnières » à la hausse ou à la baisse, de moins en moins d’électeur.ices se rendent aux urnes.

Le phénomène est plus accentué chez les jeunes, ce qui est corroboré par les études scientifiques sur le sujet, ainsi que le démontre une recherche de l’Institut du nouveau monde commandée par le Directeur général des élections du Québec (2012).

En outre, le thème du cynisme « à l’égard de la classe politique et de certaines institutions démocratiques […] [où] de sérieux doutes existent dans l’esprit du public quant à la capacité du monde politique de servir le bien commun » (Boudreau et Perron, 2021, p. 59), revient périodiquement dans les médias.

L’équation est la suivante : si les gens — surtout les jeunes! — ne font plus confiance aux institutions démocratiques traditionnelles, le système est en danger!

Cependant, la démocratie partisane n’est que la pointe de l’iceberg : la participation politique peut être pensée de manière beaucoup plus large.

C’est d’ailleurs ce qu’en concluent Robert-Mazaye et ses collaborateurs : « Les données de la littérature indiquent que les jeunes rejettent les formes traditionnelles de participation sociale et politique, mais ne se montrent pas désintéressés de l’action citoyenne. En effet, ils s’engagent en dehors des cadres formels, en participant notamment à des communautés de discours ou à des échanges de natures sociale et politique, au sein de la famille et avec leurs pairs » (2017, p. 95).

De fait, selon Boudreau et Perron, l’action politique « signifie participer activement à des discussions, à des débats, à des conflits qui sont d’intérêt public. C’est donc défendre des intérêts, des idées, des valeurs et, ultimement, participer à la dynamique, à la vie de la Cité et tenter d’en influencer la gouverne » (2021, p. 196).

Lorsqu’il est question d’influencer la gouverne d’une société, nous parlons évidemment de pouvoir, d’avoir une emprise sur le déroulement des événements, sur la direction que prendra la collectivité.

Cette emprise sur la réalité, certain.es la trouvent en s’impliquant dans un syndicat, une association étudiante ou un groupe de pression. D’autres y arrivent en faisant partie d’un mouvement social, comme les mouvements étudiants ou écologistes. Quelques-uns opteront pour l’action directe, par exemple : désobéissance civile ou manifestation. Enfin, sur le plan individuel, nombre de gens posent des gestes qui auront un impact : la consommation éthique ou encore les œuvres de bienfaisance, pour ne nommer que celles-ci.

Action politique, identité et liberté         

Suivant les réflexions exposées dans Condition de l’homme moderne d’Hannah Arendt (2012), incontournable philosophe politique du 20e siècle, nous pouvons affirmer : tout geste ou toute parole (ou leur absence) peut être compris comme un acte politique, car il a potentiellement des répercussions sur le monde humain que nous tissons en commun.

Entendu ainsi, toute action ou parole n’a de sens qu’en relation avec les autres, car pour Arendt « L’action […] correspond à la condition humaine de la pluralité, au fait que ce sont des hommes et non pas l’homme, qui vivent sur terre et habitent le monde […] cette pluralité est spécifiquement la condition […] de toute vie politique » (p. 65).

Par ailleurs, ce qu’elle nomme action va beaucoup plus loin que le simple pouvoir sur le cours des choses : c’est une manière de révéler qui nous sommes fondamentalement : « C’est par le verbe et l’acte que nous nous insérons dans le monde humain, et cette insertion est comme une seconde naissance dans laquelle nous confirmons et assumons le fait brut de notre apparition physique originelle » (p. 201).  Ainsi, pour Arendt, l’action est indissociable du caractère irrémédiablement singulier de notre existence, car « En agissant et en parlant, les hommes font voir qui ils sont, révèlent activement leurs identités personnelles uniques et font ainsi leur apparition dans le monde humain […] » (p. 203). En agissant et en parlant, nous répondons à la question : « Qui es-tu? »

La philosophe explique également : « Agir […] signifie prendre une initiative, entreprendre […], mettre en mouvement […] » Selon sa conception, l’action est donc aussi synonyme de liberté, entendue comme capacité de créer du neuf : les humains sont des novateurs! Il ne s’agit pas principalement d’inventer des choses, mais de se créer en tant qu’humain, individuellement et collectivement. Cependant, entreprendre quelque chose d’original, changer le cours de l’histoire n’est pas aisé : l’humain affronte la mécanique bien établie des institutions déjà en place. Arendt argumente ainsi que « Le nouveau a toujours contre lui les chances écrasantes des lois statistiques et de leur probabilité qui, pratiquement dans les circonstances ordinaires, équivaut à une certitude; le nouveau apparaît donc toujours comme un miracle. Le fait que l’homme est capable d’action signifie que de sa part on peut s’attendre à l’inattendu, qu’il est en mesure d’accomplir ce qui est infiniment improbable » (p. 202).

Lorsque nous constatons dans l’histoire les changements sociaux qu’ont apportés les actions humaines, force est de constater que nous avons réellement une emprise sur nos collectivités et que nous pouvons accomplir des miracles. Pensons à l’abolition de l’esclavage (bien que certaines formes contemporaines subsistent) ou aux droits politiques qu’ont conquis les féministes (même s’il reste encore du travail à faire).

La démocratie est-elle en danger?

À constater tous les groupes et les individus qui s’activent présentement pour orienter le cours de l’histoire, nous pouvons imaginer au contraire que les défis auxquels l’humanité fait face permettront de la renouveler ou, qui sait, d’inventer d’autres formes d’organisation politique qui sauront mieux favoriser notre agir individuel et collectif…

En conclusion, nous pouvons concevoir la démocratie comme un mode de vie bien plus qu’un régime politique!

Sources

ARENDT, H. (2012). L’Humaine condition. Gallimard.

BOUDREAU, P. et PERRON, C. (2021). Lexique de science politique. Chenelière éducation.

DIRECTEUR GÉNÉRAL DES ÉLECTIONS DU QUÉBEC. (2012). La diminution de la participation électorale des jeunes Québécois : une recherche exploratoire de l’Institut du nouveau monde. Directeur général des élections du Québec. https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/3188129 (récupéré le 2022-09-17).

ROBERT-MAZAYE et coll. (2017). Désengagement ou scepticisme engagé? L’action politique et citoyenne des jeunes Québécois. La revue internationale de l’éducation familiale, (1)97, 95-117. https://doi.org/10.3917/rief.041.0095 (récupéré le 2022-09-17).

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