Vaccination obligatoire – Ne pas nuire


Vaccination obligatoire – Ne pas nuire | La conservation de soi est sans nul doute l’un des principes cardinaux de nos sociétés modernes résolument individualistes. Lorsque Hobbes, comme je l’ai rappelé, soutient l’idée que l’État est le meilleur moyen pour assurer la sécurité de chaque individu, il s’accroche au postulat selon lequel chacun cherche d’abord à éviter ce qu’il a le plus en aversion : mourir violemment.

Ayant cela en vue, l’État a les coudées franches pour avoir plus de mordant. Ainsi, le gouvernement peut concevoir la vaccination comme une obligation de santé publique.

Un État autoritaire?

La critique adressée à la logique de Hobbes est cependant bien connue : elle mène à des régimes autoritaires. Si les humains lui paraissent par nature si incivils, si égoïstes et si violents, c’est parce qu’il sous-entend que seule une autorité forte est garante d’un ordre sécure. C’est l’épine dorsale de tout conservatisme; remettez cela en question, puis sa thèse se retrouve sans colonne.

À y regarder de près, tout se passe comme si Hobbes avait surtout l’intention de justifier les monarques de son époque, représentants par excellence des États-nations naissants (Angleterre, France, Espagne, etc.). Pour trouver un fondement plus rationnel que celui du droit divin, il n’a trouvé rien de mieux que d’inventer un monde « naturel » sans autorité, aux allures chaotiques, qui n’a pourtant jamais existé.

De là sa description pessimiste selon laquelle « l’homme est un loup pour l’homme » (formule latine de Plaute, Homo homini lupus, reprise par Hobbes dans Le citoyen). Que serait alors le monde, peut-on penser, s’il n’y avait pas d’autorité? Aussi bien accepter de plein gré de se soumettre; béni-oui-oui.

Le danger dans ce type de raisonnement est que le principe de conservation de soi ou de sécurité devienne le prétexte à des moyens disproportionnés et liberticides. Le remède, c’est-à-dire un État souverain monstrueux, risque d’être pire que le mal. Les dictatures sont efficaces, mais qui veut de ces régimes?

D’où l’urgence de faire contrepoids à cette tendance despotique : ce sera la tâche des premiers penseurs libéraux, guidés par cet impératif de la raison et de la bonne médecine : primum non nocere ; ne pas nuire. Cela s’applique à tout individu vis-à-vis de l’autre, certes, mais aussi, sinon surtout à l’État, qui a tendance à en mener trop large.

Libéralisme et sphère privée

Posons d’entrée de jeu quelques idées au fondement du libéralisme. Locke, successeur de Hobbes dans la pensée politique anglaise du 17e, prend le contre-pied de l’affirmation selon laquelle l’homme est naturellement dangereux pour lui-même. Il met au contraire l’accent sur l’habilité de chacun à user de sa raison et de vivre en harmonie avec les autres.

Selon son analyse, chacun est libre de faire ce qu’il veut, de même qu’il peut juger lui-même de ce qui lui convient, tant et aussi longtemps qu’il satisfait à l’exigence principale de ce qu’il appelle la « loi de nature ». Cette dernière guide toute raison, et Locke la formule de la manière suivante : « étant tous égaux et indépendants, nul ne doit nuire à un autre, à sa vie, à sa santé, à sa liberté, à son bien. » (Traité du gouvernement civil, chapitre 2).

Il existe ici une subtilité dont il nous faut saisir toute la portée. Locke comprend que les humains s’entendent plus facilement sur ce qui est mal (nuire), comme tuer l’autre, l’agresser, l’empêcher de s’exprimer, le voler, etc. Mais pour ce qui est de concevoir ce qui est bien, il appartient à chacun de s’en faire une idée. Avant tout, par sa conscience, l’humain est sa propre propriété.

En un mot, le libéralisme politique accorde une sphère privée à chacun, un espace inviolable où il est autorisé de penser, de croire et d’exprimer ce qu’on veut. La tolérance religieuse que défend Locke, notamment, s’inscrit dans cette idée qu’il existe plusieurs conceptions du bien valides, mais qu’il n’est en aucun cas tolérable d’accepter qu’on se fasse violence les uns les autres pour des motifs religieux ou idéologiques.

Vaccination et nuisance

Pourquoi cela change-t-il alors la donne quand il s’agit de déterminer la légitimité de la vaccination obligatoire? C’est qu’on se retrouve ici entre l’arbre et l’écorce. Contraindre quelqu’un à se faire vacciner, peu importe les moyens, c’est plutôt autoritaire que libéral. En revanche, inciter les gens à recevoir son injection, c’est éviter la contagion nuisible à tous.

Or, on semble aujourd’hui accorder plus d’importance à l’écorce, mais pas assez à l’arbre. On s’empresse de justifier toutes les mesures gouvernementales entourant la vaccination obligatoire à peu près ainsi: « Ta liberté de ne pas te faire vacciner, affirme-t-on avec conviction, nuit à l’autre ». Cette ligne d’argumentation se défend, mais elle ne va pas sans difficulté.

Deux objections me viennent à l’esprit. D’une part, en appeler au principe de non-nuisance ne va de soi que lorsqu’il s’agit d’action nuisible directe : tuer, voler, agresser, c’est à l’évidence mal. Mais celui qui ne veut pas se faire vacciner, quand bien même cela serait jugé stupide, ne justifie pas qu’on l’accuse de nuire particulièrement à un autre. Dans les faits, l’arme risque même de se retourner contre le gouvernement s’il contraint l’antivax : l’État s’immisce dans sa cour et interfère directement dans sa liberté de conscience.

D’autre part, il sera toujours plus difficile d’accuser quelqu’un pour une inaction nuisible que pour une action nuisible. Cette précision nous vient du penseur libéral John Stuart Mill, un autre libéral, qui est bien au fait que la négligence est nuisible, quoique plus difficile à justifier : « Rendre quelqu’un responsable du mal qu’il fait [directement] aux autres, voilà la règle; le rendre responsable de ne pas avoir empêché un mal est, par comparaison, l’exception. » (De la liberté, chapitre 1) L’imputabilité est donc plus délicate à établir.

Ce dont il faut se méfier

Que dire au final. La voie la plus légitime de la vaccination est celle du consentement sans aucune forme de paternalisme. Pas de traitement de faveur, pas de pénalité, pas d’incitatif infantile comme une participation à une loterie. Je me fais vacciner de plein gré, pour ma santé et celle des autres. Tenons-nous en à l’avancée des connaissances, puis à un débat démocratique sain.

Soyons vigilants. Le gouvernement a le beau jeu de s’appuyer sur l’état d’urgence sanitaire, qui perdure et qui l’autorise à avancer par décrets, sans grand respect pour les instances démocratiques. La CAQ, sous cet angle, se complait dans son conservatisme et son paternaliste. Certains l’apprécient; ce n’est pas mon cas.

Je ne suis ni docile, ni un gourou, ni un mouchard (rappelez-vous qu’on nous a invité à dénoncer les délinquants sanitaires). Mieux vaut s’en tenir à mieux se gouverner soi-même et à débattre ensemble.

En ce qui a trait la vaccination obligatoire, le gouvernement vient d’annoncer qu’il recule; bonne réflexion!

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