Le sensibilité à ce qui est juste - justice

La sensibilité à ce qui est juste

La sensibilité à ce qui est juste | La crise relative aux sujets sensibles nous apprend qu’il existe dans l’enseignement une tension entre deux pôles. D’une part, en tant que figure d’autorité, l’enseignant a besoin d’un espace de liberté académique protégé et non entravé par l’arbitraire des administrations et des étudiants. D’autre part, toujours parce qu’il est une figure d’autorité, l’enseignant s’oblige à assumer la responsabilité académique qui lui incombe.

Je résumerais cela en une phrase : l’enseignant revendique le droit d’enseigner ce qu’il juge être juste (au sens de « vrai », « adéquat », « justifié », « acceptable »), mais il doit être en mesure de rendre compte de son jugement. Puisque l’humain est sensible à la question de la justice, sans d’ailleurs savoir parfaitement ce qu’elle est (Socrate l’avait bien compris), ne nous étonnons pas qu’il y ait aujourd’hui une telle crise.

Une question de disciplines?

Dans ma dernière chronique sur ce sujet, je précisais que certaines disciplines étaient plus sujettes que d’autres à vivre cette tension caractéristique dans le traitement des sujets sensibles : sciences sociales, histoire, littérature, philosophie… En effet, ces disciplines traitent de l’humain, de ses actions et de ses paroles : notre histoire est criblée d’injustices; les « classiques » sont truffés de propos discriminatoires; plus précisément, le contenu qu’on enseigne peut devenir problématique, soit parce qu’il éveille l’indignation, soit parce qu’il relève d’un choix qui implique de laisser autre chose dans l’oubli.

Les sciences naturelles, à l’évidence, n’ont pas à jongler avec le mot en « n » ou avec autre chose du même acabit. Pourtant, je sais que même les mathématiques peuvent être la proie du mouvement de décolonisation (voir l’exemple de l’Oregon), puis tout récemment la musique (voir la lettre de démission de J.P.E Harper-Scott). Cela heurte le sens commun au premier abord, j’en conviens.

Une musique impérialiste

Prenons l’exemple de Beethoven. Il est, dit-on, un homme blanc qui a créé un chef d’œuvre du haut de la culture européenne impérialiste. Et puis quoi encore? Aussi bien l’accuser d’avoir voulu dédicacer sa troisième symphonie à Napoléon. Plutôt incriminant, non? À sa décharge, il y renonce quand il apprend que Bonaparte s’est fait empereur. Comme quoi Beethoven est plus nuancé sur la question de l’impérialisme.

Comme le suggère Patrick Lagacé dans un article récent, il semble juste de dénoncer les excès de la militance « woke », voire même la railler.

Enfin, tout bien considéré, quand bien même certains voudraient ouvrir le cursus musical à tout ce qui est en marge de ces canons de la « musique classique » occidentale, on empêchera difficilement les grandes œuvres de se frayer un chemin jusqu’aux cœurs. Il y a dans leur génie quelque chose d’irrésistible devant lequel on ne peut rester insensible.

Il en est de même pour les monuments de la littérature et de la philo. C’est déjà une raison valable pour ne pas sombrer dans ce pessimisme à la Cassandre qui annonce le malheur de la décadence de LA culture sans pouvoir y remédier. Les mathématiques classiques et l’Hymne à la joie ne disparaîtront pas de sitôt, et ce, même si on juge pertinent que d’autres aient voix au chapitre. De même, ce ne sera pas demain qu’on multipliera les autodafés qui réduiront en cendre mon Machiavel; cela, j’en parlerai la semaine prochaine…

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