Des élections aux allures de punition | Le gouvernement minoritaire de Trudeau nous convie aux urnes pour obtenir sa majorité. Le malheur pour lui est qu’on aura peine à trouver un seul citoyen qui veut de ces élections anticipées. Rien d’inspirant à l’horizon. En temps de pandémie, les esprits sont ailleurs, et chacun s’est accommodé de celui qui tient mollement le gouvernail au fédéral.
Au mieux, semble-t-il, le Premier ministre répétera son mot d’ordre du dernier mandat rendu célèbre par Infoman : il faut « continuer » un je-ne-sais-quoi, sans trop préciser d’où l’on part, où l’on est et où l’on va, puisqu’il suffit de baratiner. Il continuera comme il l’a fait, contraint de jouer son rôle dans un gouvernement de compromis dont il ne veut pas puisqu’il cherche, fidèle à l’habitude des vieux partis, à avoir les coudées franches. Une victoire douce-amère, résolument minoritaire, sera ressentie comme une punition; une défaite, comme une sanction précédée d’une vraie gifle au visage. Les élus recevront ainsi des électrices et des électeurs ce qu’ils méritent. Et nous de même. La démocratie aura parlé.
La punition des citoyens
Une page de Platon me revient sans cesse à l’esprit en période électorale, plus particulièrement cette phrase : « la punition la plus sévère est d’être commandé par quelqu’un de plus médiocre que soi, si on ne consent pas à gouverner soi-même. » (République, 347c) On pourra toujours se plaindre que nous sommes gouvernés par une bande d’incapables, que la figure de proue est de peu d’envergure ou que, peu importe le parti, c’est du pareil au même. C’est la réaction du bon citoyen qui rumine sa punition dans son coin, face à la médiocrité des figures du pouvoir.
Mais remettons cela en perspective. Ferait-on mieux? La vérité est qu’on préfère se tenir loin de l’arène politique qui chapeaute l’État. Avouons-le : personne ne se maintient au pouvoir sans avoir la couenne dure, ni ne survit sans l’art de manœuvrer dans les coulisses selon l’excellence du « prince », comme l’enseigne Machiavel. Être élu, c’est honorable, mais à quel prix? Le jeu en vaut-il vraiment la chandelle?
Une question d’intérêt
Le jeu, la chandelle… L’expression est intéressante.
À une certaine époque, les salons de gambling étaient éclairés à la couteuse chandelle ; ainsi on ne s’y adonnait qu’entre gros joueurs capables de se payer le luxe de l’éclairage, tout cela au grand bonheur du propriétaire de la maison de jeu. Les riches joueurs lui assuraient son profit.
Transposez maintenant l’expression en politique. On ne s’y risque pas pour rien. La plupart sont déjà des privilégiés qui gagnent à se hisser au pouvoir. Ils peuvent se payer les inconvénients et le coût associé au jeu des rapports de force; on les invite même à jouer. Il ne reste qu’à nous interroger sur l’identité véritable du propriétaire de l’État. Qui en tire profit?
Revenons à Platon. Pourquoi devrions-nous gouverner? Quels avantages vouloir en retirer? Sa réponse est lumineuse :
« ce n’est pas pour les richesses ni pour les honneurs que les gens de bien consentent à gouverner : ils ne souhaitent aucunement être considérés comme des salariés en exerçant ouvertement leur fonction de commander contre un salaire, pas plus qu’ils ne souhaitent être traités de voleurs en retirant personnellement de leur fonction des avantages occultes. Il est donc nécessaire que la perspective d’une punition vienne les contraindre à s’engager, s’ils doivent consentir à prendre le commandement » (République, 347 b).
Pour les gens de bien, la perspective d’être gouverné par pire que soi devrait les obliger à s’occuper du bien public, aujourd’hui mis hors-jeu, tant nous sommes aveuglés par nos intérêts privés ou corporatifs. Tout semble se dérouler comme au marché : à chacun sa liste d’épicerie, à chaque parti sa liste de promesses. Décidément, avec une telle vision de l’intérêt public, nous mériterons assurément notre punition.
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