Vaccination obligatoire – l’État et la liberté individuelle | Le gouvernement a récemment reporté au 15 novembre la mesure de Vaccination obligatoire des intervenants de la santé et des services sociaux contre la COVID-19
Si le gouvernement tergiverse autant à la mettre en œuvre, c’est parce qu’il juge qu’il a plus à perdre qu’à gagner. C’est un calcul d’intérêt public.
En effet, deux raisons sont avancées pour justifier la vaccination obligatoire dans les milieux de santé.
- « protéger l’ensemble des clientèles vulnérables […] »
- « protéger la capacité du réseau de santé et de services sociaux à offrir ses services […] ».
Or, puisqu’un nombre significatif d’intervenants ne sont pas adéquatement vaccinés, c’est-à-dire environ 20 000 personnes qui représentent plus ou moins 10% d’un système plus-que-surmené qui craque de partout, la meilleure chose à faire a été de gagner un peu de temps, car un bris de services par manque de personnel n’est certainement pas la meilleure façon de « protéger » les plus vulnérables, y compris le réseau. Le calcul est qu’un mois de réflexion en convaincra peut-être plusieurs de rentrer dans les rangs des inoculés, sous peine de suspension sans salaire.
Quant au plaidoyer de ceux et celles qui refusent de se faire vacciner, il se ramène d’une manière ou d’une autre au principe de la liberté de choix. C’est ce filon que j’aimerais maintenant explorer.
Liberté comme absence d’entraves et la leçon de Hobbes
À première vue, la liberté que revendiquent les pro-choix tous azimuts se réduit à l’indépendance individuelle, opposée à toute intervention qui lui vient de l’extérieur, notamment l’État. Elle a comme point de départ l’individu, avec ses désirs et sa volonté, et comme point d’arrivée, leur satisfaction sans entraves.
Cette conception apparaît de manière lumineuse dans le Léviathan de Hobbes (17e siècle). La liberté, soutient-il, est « absence d’obstacles extérieures » (Léviathan, chapitre 14). C’est la définition classique de la liberté dite « négative », dans le sens où on la définit par la négative : absence d’obstacles ou d’entraves, c’est-à-dire non-ingérence ou non-intervention.
Un philosophe comme Hobbes, matérialiste dans ses explications, a l’avantage de couper court à tout discours vaporeux sur la liberté en tant que faculté divine ou transcendante. Comme il le précisera par la suite, une personne est « libre » de la même manière qu’une rivière coule librement si rien ne lui fait obstacle (Léviathan, chapitre 21). C’est un peu bête comme définition, assez minimaliste, mais elle est facile à saisir et à revendiquer. Pas besoin d’en appeler à un quelconque attribut de Dieu.
Cependant, il faut aussitôt se raviser si on en déduit que Hobbes fait l’éloge de cette liberté. Dans le modèle politique qu’il présente, elle est au contraire dangereuse. Si chacun juge ce qui est bien ou mal selon ses désirs, et que chacun se donne ainsi le droit de tout faire sans tenir compte des autres, c’est-à-dire d’utiliser les meilleurs moyens pour parvenir à ses fins sans être entravés par quiconque, alors on risque d’aboutir à une confrontation entre tous et chacun.
L’individualisme, poussé à l’extrême, aboutit ainsi à la guerre de chacun contre chacun (Léviathan, chapitre 13). Telle est la problématique centrale à laquelle Hobbes cherche à répondre. La liberté individuelle pose un problème de cohésion sociale.
La vaccination volontaire ou obligatoire?
Le vaccin contre le coronavirus ne fait pas l’unanimité, même si ceux qui s’y opposent sont à la marge. Or, doit-on rendre la vaccination obligatoire, du moins pour certains secteurs comme celui de la santé, ou doit-on s’en tenir à une campagne sur une stricte base volontaire?
Considérant ce que j’ai dit précédemment de la philosophie de Hobbes, l’aporie peut se formuler à peu près de la manière suivante : si je juge le vaccin efficace et que l’autre ne se fait pas vacciner, il devient pour moi une menace; en revanche, si je veux contraindre celui qui estime que le vaccin lui est nuisible, je deviens pour lui une menace. Comment sortir alors de cette impasse?
Pour Hobbes, il n’y a qu’une seule réponse à cette question : il faut s’entendre sur celui qui décidera ultimement des règles du jeu. C’est l’idée de son « Léviathan », qui fait référence à un monstre mythique tout-puissant et souverain : c’est la métaphore qu’il utilise pour parler de l’État, qui a la légitimité requise pour imposer le respect et imposer la loi.
En dernière analyse, c’est l’État qui décide si un vaccin est interdit ou autorisé. De même, s’il le veut, c’est lui qui peut en faire une obligation, que cela nous plaise ou non.
Le rôle de l’État et ses limites
Le principe de base de la philosophie politique de Hobbes est la conservation de soi. Ultimement, chacun cherche les meilleurs moyens pour se conserver. Dans le même ordre d’idées, la liberté de choix n’a de sens que dans la mesure où son propre corps se conserve. À l’évidence, la plus grande entrave à la réalisation de ses désirs, c’est la mort.
Or, si la plupart croient en l’efficacité du vaccin, une minorité le juge non seulement inefficace, mais nocif. Le malheur pour les anti-vax est que les statistiques ne sont pas de leur côté. Les chances de mourir des complications de la Covid, plus particulièrement si on n’est pas vacciné adéquatement, surpassent les chances de mourir des complications d’un vaccin.
Est-ce dire que l’État devrait imposer de force la vaccination, avec l’aide d’une sorte de Gestapo médicale? Une démocratie libérale n’ira jamais de ce côté, et les tenants de la thèse du totalitarisme sanitaire devraient se raviser et prendre conscience avec rigueur de ce phénomène qui a conduit à la terreur des camps d’extermination et des goulags.
La stratégie des gouvernements démocratiques est plutôt de l’ordre de l’incitatif et, dans le pire des cas, d’une réduction du champ de liberté des récalcitrants (être empêchés de travailler et d’en obtenir un salaire). Mais l’optique est d’assurer une sécurité adéquate à sa population. La liberté est certes louable, mais pour l’apprécier à sa juste valeur, la conservation de soi en est la condition première.
Je m’arrête ici, mais j’y reviendrai la semaine prochaine…
En attendant, vous pouvez faire la lecture de mes autres articles !