Savoir ce qui compte – J’assistais samedi au spectacle de Fred Pellerin, La descente aux affaires, et j’y suis revenu le rire encore accroché, émerveillé et ému. Il est un conteur plus grand que nature. Il m’a fait penser à la folie humaine, au « feu de bois » de la vie, à l’amour. C’est mon philosophe québécois préféré, la lourdeur des concepts en moins, qui jamais ne m’assomme par le tricot de ses mots.
Il a galvanisé la salle au premier trait, laissant entendre qu’on dormait encore un peu au gaz, car il faut l’avouer, il faut être alerte pour tout capter le trop plein de beautés qui s’élève de sa parole : « Voyons Québec! lance-t-il. Es-tu déjà en grève! » Il a le tour de ces clins d’œil qui touchent la vie concrète de son public.
La crise sociale
Brodeur, le propriétaire du magasin général, sait compter; Fred sait le raconter. Je me lève ce matin, à l’aube d’un conflit de travail historique dans les services publics, et je cherche à savoir ce qui compte.
Certainement pas les Kings au stade Vidéotron, ni le retour d’une équipe de hockey à Québec. Le Premier Ministre accuse les critiques, notamment syndicales, de faire de la « petite politique ». Ce n’est que 5 à 7 millions pour attirer des gros joueurs, après tout, une goutte d’eau dans l’océan des dépenses de l’État. Il faut savoir compter, semble-t-il se défendre, comme il a su compter les deniers publics pour que s’amène Northvolt. Mais savoir ce qui compte, c’est autre chose, n’en déplaise au Gouvernement de la CAQ, et aux autres qui l’ont précédé.
Santé et éducation
À trop chercher où investir pour que puisse croître l’économie, se sont dégradés les réseaux de la santé et de l’éducation, qui sont considérés comme des dépenses comptables chères pour nos impôts. Il y a eu des facteurs aggravants : le vieillissement de la population, la pandémie, la pénurie de personnel, et que sais-je encore. Des défaites, au sens figuré et au sens propre. Nous en sommes encore à la limite du travail forcé chez les infirmières, comme on force le citron accoté dans le pressoir.
L’échec le plus cuisant s’exprime dans l’effondrement du corps de l’éducation à son commencement, du service de garde à l’enseignement primaire et secondaire. Nous n’arrivons plus à embaucher des personnes qualifiées. La relève n’y est pas, et une partie de celle-ci quitte prématurément. Trop dur dans ce monde viré à l’envers, et ce, malgré les fameux mois de vacances qui semblent encore faire des envieux : c’est l’argument-massue maintenant consacré qui fait partie du patrimoine du Québec, bien que j’entende depuis quelque temps un discours plus nuancé quant à ce repos bien mérité. Car, avouons-le, qui peut prétendre aujourd’hui assumer sans difficulté la responsabilité quant à l’avenir de son enfant? J’imagine ce que c’est d’en avoir 20 et plus dans sa classe et de leur offrir un lendemain; il faut avoir la couenne dure et un cœur en or.
Qu’est-ce qui compte vraiment?
Il y a les salaires qui ne suivent pas l’inflation, en effet. Mais l’enjeu est plus profond, comme un conte de Pellerin. Ce sont l’ensemble des conditions dans lesquelles s’exercent le métier qui importent. Voilà pourquoi il y a grève. Ce n’est pas une grève de fonctionnaires mais une crise sociale. Il faudra donc plus de grandeur d’âme chez nos politiciens pour nous sortir de l’impasse.
Carl Grimard, Professeur de philosophie au Cégep Garneau