Mise sur la philo : Le pari de la philosophie | Parier est l’activité du risque. Il faut aimer l’incertitude, mais aussi aimer se prendre au jeu et croire que notre gageüre est la bonne, que ce sera rouge et non blanc à la roulette, ou que le tirage au poker donnera la couleur. Il faut surtout apprendre à perdre. Et si la vie était un jeu? Sur quoi parier? Quel genre de vie nous voulons mener?
Le risque de la pensée
La philosophie est le pari de l’incertitude, raison pour laquelle elle n’est pas souvent la bienvenue. L’humain serait davantage un animal qui a besoin de croire; en autant que chacun puisse s’assurer qu’il existe un sol sur lequel danser. Et aujourd’hui, en raison d’un simple virus qui perdure, on ne sait plus très bien sur quel pied danser. Ajouter de l’incertitude à cette incertitude sanitaire, ce serait à coup sûr de la folie. Plutôt revenir à la normale. Pas besoin de philosopher. Ça va bien aller. Peut-être y a-t-il en chacun de nous cette inclination à censurer la pensée et poursuivre sa routine. Moins de risque, davantage de certitude : un pari facile.
En même temps, sans la pensée, celle qui cherche à s’élever et à creuser, l’humain ne serait pas ce qu’il est. Blaise Pascal (1623-1662) le compare ainsi à un roseau pensant, fragile, mais digne : « Il ne faut pas que l’univers entier s’arme pour l’écraser : une vapeur, une goutte d’eau, suffit pour le tuer. Mais, quand l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce qu’il sait qu’il meurt, et l’avantage que l’univers a sur lui, l’univers n’en sait rien. » (Pascal, Les pensées, fragment 347). Quelques gouttelettes d’eau contaminées, et notre destin risque d’être scellé… Mais la pensée qu’on peut mourir bientôt ouvre la possibilité de questionner le sens de la vie qu’on mène et de la réorienter si nécessaire. Il faut saisir cette chance et s’y exercer pendant qu’il est encore temps. En cette période de crise, avouons-le, les défis ne manquent pas.
Un pari accessible à tous
La philosophie est l’affaire de tous et non la chasse gardée d’une élite intellectuelle. Cette critique, je veux l’adresser d’abord à moi-même, moi qui suis professeur de philosophie et qui connais bien la pensée des philosophes, l’histoire des idées. Car tout ce savoir a tendance à devenir chose quotidienne, à meubler mon esprit comme des bibelots qui rassurent. Par exemple, je connais bien la thèse de Socrate selon laquelle « il est mieux de subir l’injustice que de la commettre » (Gorgias) ; c’est la posture éthique par excellence d’un homme qui a accepté sa sentence de mise à mort, refusant la fuite qui l’aurait forcé à commettre une injustice. Cependant, je serais bien malaisé devant l’étudiant qui me demande si Socrate, ou un autre, a toujours raison. Il me pousserait alors à réfléchir et non seulement enseigner la pensée des philosophes. Mes beaux bibelots pourraient se casser!
Mise sur la philo. Le thème du pari n’est pas neuf : il me vient de Blaise Pascal, que j’aime à citer. Il était un mathématicien, un philosophe, mais aussi un Chrétien fanatique. Puisque nous sommes embarqués dans l’existence, dit-il, il nous faut choisir : Dieu est ou il n’est pas. Il soutient ainsi qu’il est plus prudent de miser que Dieu existe puisque seule cette gageüre, au final, peut être gagnante. On y rachète sa vie pour l’éternité. Comme je disais, chacun aime se prendre au jeu et croire que sa gageüre est la bonne. J’ose croire que le pari de la philosophie est différent. Plus souvent qu’à son tour, on perd ce savoir qu’on croyait certain; il faut alors rejouer. Chemin faisant, on gagne en profondeur.