En attendant la prochaine négo | Pour la plupart des syndicats du secteur public, la négociation est terminée. La Fédération autonome de l’enseignement (FAE) a obtenu à l’arraché un vote en faveur de l’entente de principe; pour le Front commun, ça n’a été qu’une question de formalité. La mobilisation a été historique, le mouvement de grève a été massif et le gouvernement a dû délier les cordons de la bourse pour dénouer l’impasse. Mais que devrions-nous retenir de cette négociation?
D’abord, la lutte contre l’inflation a été au cœur du conflit. Peut-être trop, mais il faut se rendre à l’évidence, la vie coûte beaucoup plus chère : l’IPC de 3,9 % en 2023, de 6,8 % en 2022, de 3,4 % en 2021. Pour les années à venir, le retour à la fourchette des 2 % est incertain. Ainsi, les 17,4 % d’augmentation sur 5 ans, avec certaines clauses ponctuelles d’ajustement selon l’inflation, puis certains sauts d’échelon pour plusieurs, ont semblé satisfaire l’appétit des membres.
Mais il n’y aura aucun mécanisme d’indexation permanent, comme le souhaitait le Front commun, nous condamnant bientôt à d’autres négociations laborieuses qui ont pour effet de miner le climat de travail et le climat social, en plus de nous détourner d’enjeux plus importants, comme la lourdeur de la tâche et la qualité des services. Cette bataille a été perdue.
En front commun, la table centrale pèse de tout son poids, au détriment du sectoriel : il faut nous en souvenir. Or, toute amélioration substantielle des conditions de travail, en dehors du salaire et de la retraite, est coûteuse. Il faut donc choisir ses combats. Dans cette négo, c’est la peur de perdre son pouvoir d’achat qui a échauffé les esprits.
Le résultat peut paraître décevant : nous avons eu à peine l’inflation, voire un peu moins si nous évaluons notre situation financière à partir de l’annus horribilis de 2022. Mais nous pourrons continuer à consommer à peu près selon le même rythme auquel nous sommes habitués. Sur ce point, les grands perdants demeurent la FAE, elle qui espérait une nette amélioration, non de leur salaire, mais de leurs conditions d’enseignement.
La stratégie du gouvernement a consisté à offrir au départ une augmentation dérisoire au regard de l’inflation, autour de 9%, puis de la bonifier au compte-goutte, ajoutant l’insulte à l’injure. Des mois sans broncher, ou presque, sur le plan salarial, pour aboutir à un jeu de monnayage : flexibilité sur le plan des conventions en échange d’augmentations plus substantielles.
Il fallait attendre tout ce temps, une fois les débrayages généralisés, pour que se manifeste dans toute sa clarté l’antisyndicalisme notoire de la CAQ. À l’image de leurs prédécesseurs, la vie est pour eux toujours plus belle et plus efficace au privé. Nous avons eu droit à la vieille rengaine des mononcles entrepreneurs du siècle passé : « la rigidité syndicale nuit à l’efficience des réseaux de la santé et de l’éducation; donnez-nous le pouvoir de plier à volonté les ressources humaines, et le monde s’en portera beaucoup mieux grâce à ceux et celles qui veulent vraiment travailler ». Je caricature à peine.
Dans les faits, aux tables sectorielles, la demande de flexibilité s’est traduite davantage par le statu quo, heureusement. Plusieurs demandes syndicales ont dû être retirées, et les « gains » pour les membres a consisté à éviter les reculs. Par exemple, au collégial, la demande patronale de l’ouverture du cadre horaire des professeurs pendant les fins de semaine s’est évaporée; il n’en est demeuré qu’un résidu, relatif à des stages particuliers en soins infirmiers. Dans les autres fédérations, un constat similaire semble se dégager : nous avons évité le pire.
Une négociation réussie, selon certains réalistes politiques, est une négociation où chaque partie retourne chez lui mécontent. En ce sens, c’est bel et bien une réussite. De son côté, le premier ministre a tôt fait d’annoncer à regret que le prochain budget sera déficitaire en raison de « son choix », comme si la conclusion de la négo lui revenait. Belle preuve encore de son paternalisme. Il pourra cependant se consoler en s’imaginant avoir respecté la capacité de payer des Québécois et des Québécoises, se refusant à lever un impôt conséquent avec les décisions de son gouvernement.
Enfin, souvenons-nous de la lutte qu’ont mené les enseignantes et les enseignants de la FAE : 22 jours de grève, sans soutien financier. Croisade à la Don Quichotte selon certains, il n’en demeure pas moins qu’ils ont su trouver écho auprès de la société québécoise. L’éducation de nos jeunes est dans un piteux état, elle nous préoccupe, mais les solutions pour y remédier ne vont pas de soi. En l’occurrence, la pénurie d’enseignants ne se règlera pas par magie. En prendre conscience collectivement est déjà une victoire importante, bien que l’entente de principe ait fait si peu pour améliorer leur sort. Leur déception est palpable et tout à fait compréhensible. Comme on peut s’en douter, l’argent ne règle pas tout, et la flexibilité a ses limites.
Intéressent de lire ces propos! Ce fût une longue et pénible bataille a vivre pour les enfants, leurs parents, les profs, les syndicats et le gouvernement. Personne n’a été épargné!