MISE SUR LA PHILO

L'allégorie de la caverne

Mise en contexte

Le texte de l’allégorie de la caverne est un incontournable de la philosophie. Il ne fait pourtant que quelques pages, les 7-8 premières du livre VII de La République, une œuvre centrale de Platon composée de 10 livres (c’est-à-dire des chapitres), pour un total d’environ 450 pages dans une édition standard.

Nous n’avons pas besoin de lire La République au complet pour comprendre l’essentiel de l’allégorie de la caverne. Néanmoins, son symbolisme n’arrive pas de nulle part : il est préparé explicitement dès la fin du livre VI, au moment où Socrate peine à clarifier sa pensée sur l’idée la plus haute censée nous animer, celle du Bien.

Que cherche-t-il à exprimer en évoquant l’idée du Bien, qui sera symbolisé par le soleil à l’extérieur de la caverne? Pour Platon, il existe un lien inséparable entre le Bien et le savoir. En effet, l’âme s’élève vers le Bien lorsqu’elle connaît, c’est-à-dire lorsqu’elle met en activité sa raison, la faculté la plus noble de l’être humain. 

Il est donc possible d’interpréter l’allégorie de la caverne comme un appel à réaliser ce qu’il y a de mieux dans notre existence humaine, en l’occurence, tendre vers la sagesse ou philosopher. Elle est miniature de ce que pense Platon de la philosophie et du rôle du philosophe dans la cité.

Avant tout, lisez l’allégorie de la caverne, c’est un passage obligé!

Une image de sa propre éducation

Voyons de la manière la plus simple possible la signification de la mise en scène.

De quoi parle l’allégorie? Est-ce bien de la philosophie?

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Les termes paideia et apaideusia

 

Le terme grec pour l’éducation est la paideia. Ce terme renvoie immédiatement au mot grec pais, l’enfant.

 

Celui-ci entre dans sa communauté grâce à l’éducation. L’humain est ainsi davantage qu’un être fixé dans la nature; il s’épanouit uniquement s’il est éduqué convenablement.

 

Le manque d’éducation, ou l’apaideusia, est au contraire le « manque d’instruction », ou « l’ignorance » (voir le Dictionnaire grec-français Bailly).

Platon cherche à nous faire réfléchir à un phénomène proprement humain, qui est au commencement de chaque culture ou de chaque société : « l’état de notre nature relativement à l’éducation et à l’absence d’éducation. »

Dès le départ, nous devons être attentifs à l’ambiguïté suivante : considérant que tout humain est nécessairement « éduqué » en ayant fait certains apprentissages et en ayant appris les normes et valeurs de sa culture, en quel sens peut-on dire qu’il y a « manque d’éducation » ? Dit autrement, l’éducation que nous avons reçue est-elle suffisante ou adéquate? Est-elle une éducation ou davantage un endoctrinement qui nous enchaîne?

En clair, l’allégorie signifie l’importance de remettre en question nos opinions et nos préjugés acquis depuis notre enfance, à l’école, à la maison ou ailleurs, et à interroger ce qu’est une bonne ou une véritable éducation, celle qui nous manque. Sortir de la caverne, en définitive, ce serait dépasser le relativisme de nos opinions et parvenir à une connaissance véritable.

Dernière chose : il n’est pas sans intérêt de noter que la difficulté du relativisme se présente pour Platon lui-même, lui qui a suivi la voie de Socrate. En effet, pourquoi devrait-on adhérer à son idéal d’éducation philosophique? Permet-elle la connaissance véritable?

Assumons que l’auteur de la République avait bien réfléchi à cette objection. Les deux personnages du livre VII nous le laissent même entendre : Socrate, qui décrit l’allégorie, et Glaucon, qui répond à ses questions : le premier, était le maître de Platon, et le second, son frère aîné. L’auteur a donc bien conscience qu’il s’agit de réfléchir à sa propre éducation, qu’elle provienne de l’école, de sa famille ou de son entourage. Comme le dit Socrate à propos des prisonniers : « ils nous ressemblent ». Personne n’y échappe, pas même Platon.

La prison de la double ignorance

On peut être vite décontenancé par le nombre de symboles dans l’allégorie : les prisonniers, les ombres, le muret, les porteurs d’objets fabriqués, le feu, le soleil, etc. Il faut dire que le texte ne clarifie pas tout, ce qui laisse place à plusieurs interprétations.

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La simple et la double ignorance

 

La double ignorance est de ne pas savoir qu’on ne sait pas; elle est double car la personne ignore ignorer. La simple ignorance, au contraire, concerne celui qui sait qu’il ne sait pas; il sait ignorer.

 

Le passage de la double à la simple ignorance correspond à l’attitude critique propre au cheminement philosophique, celle que Socrate cherche à obtenir en questionnant ses interlocuteurs, qui constatent que leurs réponses mènent à l’impasse.

 

Pour l’origine et la mise en scène de cette distinction, voir L’apologie de Socrate, 20 e à 23 c. Un ami d’enfance, Chéréphon, avait questionné l’oracle de Delphes afin de savoir s’il existait quelqu’un de plus sage que Socrate ; la pythie répondit que non.

 

Socrate, en apprenant la nouvelle, demeura perplexe devant cette énigme, lui qui se savait ignorant.  Il comprit ainsi que sa sagesse consistait non pas à déverser chez les autres un prétendu « savoir », mais à les interroger et à affirmer avec ironie : « je sais que je ne sais rien ».

L’une des manières de ne pas s’égarer dans les détails est d’expliquer le sens de la libération du prisonnier, à commencer par ce dont il fait l’expérience pendant qu’il chemine à l’intérieur de la caverne. On ne peut manquer d’y voir l’illustration de la célèbre distinction de Socrate entre la double ignorance et la simple ignorance.

La condition des prisonniers ligotés au fond de la caverne est celle de la double ignorance, ne pas savoir que l’on ignore : ils ne peuvent voir rien d’autres que des ombres, un semblant de réalité qu’ils considèrent comme vrai, sans en faire l’examen. Leur esprit est captif de ce qui se déroule devant leurs yeux et jamais ils n’interrogent le monde avec rigueur.

Ils se fient donc, comme le font les enfants, à ce qu’on leur inculque et à la vision du monde qu’on leur montre. On leur apprend ce qui est vrai ou faux, bien ou mal, juste ou injuste, ce qui est normal ou anormal.

Pour prendre un exemple contemporain, chacun peut juger qu’il est tout à fait normal et correct que l’intérêt personnel, la recherche du profit, la quête d’un bon salaire et la vie de consommation puissent organiser sa vie. La plupart acceptent ces normes de notre société, qui ont été intégrées depuis l’enfance. Tous peuvent aspirer à faire leurs propres choix, à s’enrichir, à consommer et à jouir du niveau de vie qui leur est accessible, pourvu qu’ils y mettent un certain effort. Ce monde – notre caverne – fournit les croyances d’un bonheur apparent. Y aspirer n’a rien de mal; c’est même perçu comme le Bien.

Mais est-ce vrai? Cette conception du bonheur n’est-elle pas qu’une affaire de conventions ou de croyances? L’éducation, incluant les normes et les valeurs qui y sont véhiculées, n’a-t-elle pas toujours un caractère relativiste, c’est-à-dire relatif à la culture dans laquelle on est né? Par exemple, ne doit-on pas admettre que les peuples autochtones de l’Arctique, les Inuits, ont une conception distincte du bonheur, et qu’il en va de même des autres communautés distinctes à travers le monde?

Or, si on admet ce relativisme des cultures, pourquoi s’entêter à croire que ces « ombres » sont la vérité plutôt qu’une apparence de vérité? Enfin, s’il y a quelque chose de plus vrai, de plus réel, de quoi s’agit-il?La citation est tirée de la première phrase du livre VII, qui introduit la description célèbre de la caverne. Cette allégorie, en un mot, représente le problème cardinal de l’éducation (la paideia).

Le cheminement vers la simple ignorance

Plutôt que de nous attacher à un ensemble d’opinions, l’éducation de Platon se présente au contraire comme une épreuve visant à contrer l’ignorance. Elle se décrit comme un détachement et une mise à distance vis-à-vis nos prétendus « savoirs ». Ainsi, le processus d’éducation requiert à un certain moment une remise en question qui rompt avec notre mode de vie habituel. C’est l’effort de sortir de sa caverne.

La remise en question est un moment déstabilisant, comme le laisse entendre la mise en scène de la libération du prisonnier :

« Considère maintenant ce qui leur arrivera naturellement si on les délivre de leurs chaînes et qu’on les guérisse de leur ignorance. Qu’on détache l’un de ces prisonniers, qu’on le force à se dresser immédiatement, à tourner le cou, à marcher, à lever les yeux vers la lumière : en faisant tous ces mouvements il souffrira, et l’éblouissement l’empêchera de distinguer ces objets dont tout à l’heure il voyait les ombres. Que crois-tu donc qu’il répondra si quelqu’un lui vient dire qu’il n’a vu jusqu’alors que de vains fantômes, mais qu’à présent, plus près de la réalité et tourné vers des objets plus réels, il voit plus juste? »

On ne saurait trop souligner les deux effets d’un tel déracinement.

1. D’une part, c’est un exercice pénible. L’humain préfère ce qui lui est familier, et perdre ses repères n’a rien d’agréable et de réconfortant au premier abord. L’esprit doit surmonter son état ankylosé, comme un corps atrophié qui sort d’un sommeil profond. Il doit commencer à réfléchir ou penser.

2. D’autre part, le fait d’être confronté au questionnement entraîne une perte d’acuité, c’est-à-dire qu’on semble devenir plus ignorant qu’auparavant. Le cheminement qui mène à reconnaître qu’on ne savait pas rend obscur ce qui semblait clair. Paradoxalement, c’est le résultat d’un éblouissement, soit le fait de se tourner vers quelque chose de mieux que des préjugés.

Notons enfin que la remise en question ne vient pas ici du prisonnier lui-même, mais de quelqu’un d’autre qui l’interroge. C’est Socrate qui confronte la double ignorance d’autrui et, qui cherche à le réfuter afin qu’il adopte une posture philosophique. La simple ignorance n’est pas automatique. Au contraire, la tendance des humains est de replonger dans ses anciennes croyances.

Qu'est-ce que la nature de ceci ou cela ?

La suite du texte, plus difficile à interpréter, introduit un élément clé qui ne doit pas être passé sous silence :

Si, enfin, en lui montrant chacune des choses qui passent, on l’oblige, à force de questions, à dire ce que c’est? Ne penses-tu pas qu’il sera embarrassé, et que les ombres qu’il voyait tout à l’heure lui paraîtront plus vraies que les objets qu’on lui montre maintenant?

Le seul moyen de déceler l’ignorance est d’obliger chacun à interroger la nature véritable des choses. Socrate posait sans cesse ce type de questions à ses concitoyens : par exemple, qu’est-ce que le beau, qu’est-ce que la justice, qu’est-ce que l’amitié? Devant ces questions, celui qui se berce d’illusions et de ses préjugés est rapidement ramené à l’ordre, car il est incapable de rendre compte de ce dont il parle. On le devine, affirmer qu’une chose est belle ou juste est plus facile que d’expliquer la raison qui justifie pourquoi elle est belle ou juste.

Dans la citation précédente, le prisonnier fraichement libéré est placé devant la machination productrice d’ombres. On l’interroge vraisemblablement sur la validité de ce qui forge ses croyances. On lui montre les objets mêmes que portent certains individus cachés derrière la cloison, peut-être des personnalité politiques puissantes ou des hommes d’affaires de la trempe de Jeff Bezos (Amazon) ou de Mark Zuckerberg (Facebook), c’est-à-dire ceux qui exercent une influence en arrière-plan.

Le texte ne dit pas tout et laisse place à plusieurs interprétations. Toutefois, l’une d’elles nous est suggérée quelques paragraphes plus loin, lorsque Socrate clarifie la signification de l’allégorie. Il prend alors pour exemple les débats sur la justice.

Tous les humains se disputent sur le caractère juste ou injuste de certaines actions et s’en tiennent à leurs préjugés et à ce qui leur paraît acceptable ou non (les ombres). La plupart du temps, ce qui influence chacun, sans qu’on n’en prenne vraiment conscience, est l’ensemble des lois : Socrate les associe alors à des « figurines », c’est-à-dire ces même objets fabriqués et maniés par des personnes dissimulées derrière le muret. Ces lois projettent leur lot d’ombres de justice et modèlent notre cadre normatif.

Or, personne ne questionne le bien-fondé de leurs préjugés, encore moins la validité des lois, leur cohérence, leur valeur par-delà leur normalité. Cela meuble notre caverne. Pour Socrate, toutes ces disputes manifestent donc notre incapacité à répondre adéquatement à une question fondamentale toute simple : qu’est-ce que la justice en elle-même? Nous sommes incapables d’en donner une définition satisfaisante. L’explication de ce qui rend une action juste ou injuste nous échappe.

Cette incapacité de rendre compte de ce qui nous est si familier – des actions qui semblent justes et injustes, selon certaines lois – pique l’ego jusqu’à la honte. Souvent, on refuse de s’avouer vaincu et on bat en retraite. Ainsi, le prisonnier qui est incapable d’expliquer pourquoi il juge une action juste ou injuste, qui est incapable de justifier la nature de la loi, a le réflexe de « fuir » la connaissance. Il abandonne la possibilité d’y voir plus clair pour se réfugier auprès « des choses qu’il peut regarder » : des ombres. Il reste dans la double ignorance et, encore une fois, la simple ignorance lui a échappé.

La sortie hors de la caverne

On aura compris de ce qui précède que la caverne représente un monde d’apparences, celui dans lequel l’âme – ou sa partie la plus digne, la pensée ou la raison – est prisonnière. Autant dire que nos opinions ou nos croyances viennent de notre attachement immédiat à notre expérience du monde, avec ce que l’on voit, ce que l’on entend et ce que l’on perçoit depuis notre enfance. Dans ce théâtre d’ombres, la pensée est paralysée, persuadée à tort que le monde est tel qu’il apparait.

Que signifie alors l’opposition entre la caverne et l’extérieur de la caverne? Rien d’autre que l’opposition entre le monde visible, c’est-à-dire le monde dans lequel on habite, et le monde propre à l’intelligence, que Platon désigne par l’expression de « lieu intelligible ». 

Socrate clarifie deux symboles qui permet de mieux comprendre l’opposition entre le visible et l’intelligible :


1 – À l’intérieur de la caverne, il y a le symbole du feu qui représente « la puissance du soleil »;


2 – À l’extérieur de la caverne, il y a le symbole du soleil qui représente l’idée la plus haute, celle du Bien.

Le sens de la métaphore est donc clair : le feu de la caverne est le soleil de la nature qui dévoile un monde visible par les yeux et sensible par les sens, alors que le soleil à l’extérieur est l’idée du Bien qui dévoile le lieu intelligible visible par l’intelligence seule.

De fait, une action injuste, un vol par exemple, est visible grâce à la vision, mais la justice en elle-même, à l’évidence, n’est pas perceptible par les sens, mais seulement intelligible ou objet de la pensée seule. Il en est de même des autres idées.

La théorie des idées

Mais qu’est-ce qu’une idée pour Platon? Disons d’abord ce qu’elle n’est pas. Elle n’est pas pour lui un simple concept, c’est-à-dire le résultat d’une abstraction ou d’une généralisation tirée du monde perçu. Au contraire, sa théorie des idées repose sur l’hypothèse d’objets immatériels qui existent par eux-mêmes.

Quand Platon se réfère au Cercle, à la Justice ou au Bien (la majuscule sert justement à montrer qu’il s’agit d’idées platoniciennes), il songe à des modèles parfaits, uniques et stables, susceptibles d’être connus en eux-mêmes afin de rectifier nos opinions. Sortir de la caverne, c’est donc parvenir à des idées susceptibles d’une véritable connaissance, gage d’une véritable éducation.

Prenons un exemple tiré de la géométrie. Pour connaître l’idée du Cercle, on ne peut s’en tenir aux images toujours imparfaites que l’on trace sur une feuille. Pour Platon, tous les cercles particuliers, ceux que l’on observe ou que l’on imagine, sont seulement des imitations d’un Cercle universel unique. Il faut donc élever notre pensée au-delà du monde visible et chercher une définition capable de saisir le modèle unique qu’est le Cercle.

Or, il en est de même des autres idées. Si on reprend la Justice, on ne la connaît pas en se fiant à toutes les actions qui nous semblent justes ou injustes (des ombres), ou aux lois (figurines ou objets fabriqués qui imitent la justice), mais en visant le modèle véritable.

Ce qu’il y a de déroutant, c’est qu’on a peine aujourd’hui à concevoir l’existence d’un tel lieu intelligible, c’est-à-dire un monde immatériel au-delà de notre caverne. Peut-être certains accordent-ils encore aux mathématiques ce privilège de l’abstraction et des idées pures, seules capables d’aiguiller la science moderne. Mais Platon défend la thèse qu’il existe des idées encore plus fondamentales pour vivre ensemble, comme le Bien et la Justice, qui sont connaissables au même titre que les mathématiques, pour celui qui cherche à s’éduquer pleinement.

Le retour dans la caverne : la mission de l'éducation

Nous avons jusqu’à présent considéré l’éducation comme le cheminement du prisonnier jusqu’à l’extérieur de la caverne, où il parfait sa connaissance. La dernière étape du parcours, celle du retour à l’intérieur, pose un dernier enjeu fondamental : la transmission du savoir.

L’allégorie forme en effet une boucle puisque le prisonnier libéré est devant l’obligation de les libérer à son tour. Cela est l’occasion pour Platon de mettre en lumière sa conception de la mission éducative, ainsi que ses obstacles. 

Nous commencerons par identifier deux obstacles. D’une part, le philosophe, c’est-à-dire celui qui s’est familiarisé avec la connaissance des idées, devient à nouveau incompétent lorsqu’il est confronté aux ombres ou à l’univers des opinions. Il doit s’accoutumer à l’obscurité, comme il s’est auparavant accoutumé à la lumière. Ayant perdu l’habitude de vivre avec ses compagnons de la caverne, tout lui semble anormal et incompréhensible, comme si la philosophie lui avait abîmé l’esprit.

D’autre part, si le philosophe cherche à libérer les prisonniers, il risque de se heurter à une opposition farouche de leur part. En effet, l’éducation proposée par la philosophie constitue un défi majeur puisqu’elle comporte un aspect critique qui se heurte au conformisme social. Par exemple, le professeur qui défend l’idée que le bonheur consiste à se consacrer à la connaissance et à faire preuve d’un esprit critique, et non pas à satisfaire ses désirs de consommation ni à jouir de la vie comme tous les autres, risque de ne pas être pris vraiment au sérieux. On se moquera de lui; on s’en méfiera. D’ailleurs, Platon ne manque pas l’occasion de souligner le danger ultime qui guette celui ou celle qui a le courage de s’attaquer à la double ignorance des autres : être exclu ou même être mis à mort. En un clin d’œil, le destin tragique de Socrate, le philosophe condamné à mort par les citoyens d’Athènes, est évoqué.

Enfin, l’allégorie propose une conception nouvelle de la mission éducative, plus particulièrement un nouveau rapport entre celui qui délivre et celui qui est délivré. Le type d’éducation qui est symbolisé par ce rapport n’est pas la transmission d’un savoir qui passe d’une personne à une autre; au contraire, ce qui est transmis, c’est bien l’amour du savoir lui-même, le désir de cheminer par soi-même vers la connaissance.

En résumé, l’éducation proposée par Platon ne consiste pas à « introduire dans l’âme » un certain contenu « comme on donnerait la vue à des aveugles », ou encore à convaincre quelqu’un de quoi que ce soit. Si c’était le cas, n’importe quels contenus relatifs feraient l’affaire, et on se contenterait de la caverne des ombres. Ce que cette éducation exige au contraire, c’est l’effort de se tourner soi-même vers les idées et de mettre en activité son intelligence :

L’éducation est donc l’art qui se propose ce but, le retournement de l’âme, et qui recherche les moyens les plus aisés et les plus efficaces de l’opérer; elle ne consiste pas à donner la vue à l’organe de l’âme, puisqu’il l’a déjà; mais comme il est mal tourné et ne regarde pas où il faudrait, elle s’efforce de l’amener dans la bonne direction.